I - Préambule

"Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient - le mot n'est pas trop vaste - au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l'un des deux droits, le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l'écrivain, car l'intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous." Victor Hugo, 1878 - Discours d'ouverture du congrès littéraire international.

II - Quels sont les effets négatifs de l'EUCD ?


I - Préambule

[Ce document ne remet pas le droit d'auteur en question]

Les individus, organisations et entreprises qui soutiennent l'initiative EUCD.INFO ( http://eucd.info/ ), qui est à l'origine de ce document, croient fermement que les droits moraux et les intérêts économiques des auteurs doivent être préservés dans l'environnement numérique. Il n'est pas dans leurs intentions de légitimer des pratiques illicites ni de léser les intérêts économiques des auteurs. Bien au contraire. D'un point de vue légal, ils pensent qu'il est socialement dommageable de criminaliser les pratiques honnêtes et légitimes de toute une population sous pretexte de punir une minorité de contrevenants. D'un point de vue économique, ils défendent fermement une saine concurrence et une rémunération équitable des auteurs mais sont hostiles aux monopoles, aux abus de position dominante et aux ententes illicites.

[Justifié par un traité rédigé 1996, l'EUCD met à mal l'intérêt général]

Le traité OMPI [9] sur le droit d'auteur (1996) a permis le DMCA [4] aux Etats-Unis (1998) et la directive européenne du 22 mai 2001 (ou EUCD pour European Union Copyright Directive) [8] . Dans l'EUCD comme dans le DMCA, l'article 11 du traité OMPI a été incorrectement interprété: le législateur a qualifié de contrefaçon tout acte susceptible de neutraliser des mesures techniques [6] , remplaçant ainsi partiellement la loi par la technique [15] . Les très nombreuses exceptions incluses dans l'EUCD ne corrigent pas cette erreur fondamentale car ses racines sont sociales et économiques. Victor Hugo contribuait à fonder le droit d'auteur sur cet "intérêt général" que l'on retrouve dans les considérants de l'EUCD (considérants 3 et 14) mais qui disparaît en raison de l'article 6 relatif à la protection des mesures techniques [7] .

[L'EUCD pose de grands problèmes juridiques mais cette synthèse porte sur les problèmes économiques et sociaux]

Cela fait plus de deux ans que des juristes renommés s'escriment sur l'article 6 et tentent, en vain, de trouver un moyen de le transposer [3] . Ce document n'a pas la prétention d'apporter des solutions à ces problèmes qui tiennent de la quadrature du cercle pour certains[2] [11] et contredisent les objectifs communautaires pour d'autres [6] . Il s'agit seulement ici de montrer, synthétiquement, les nombreuses conséquences négatives, tant sur le plan social qu'économique, qu'aurait l'EUCD dans l'hypothèse d'une transposition. Nous bénéficions pour ce faire de l'expérience américaine après quatre ans d'entrée en vigueur du DMCA (1998) [12] . Cela permet d'ancrer un argumentaire sur des faits, des expériences concrètes et des procédures judiciaires, certaines faisant appel à la Cour Suprême des Etats-Unis.

[Le législateur risque d'ajouter des problèmes lors de la transposition]

Le DMCA et l'EUCD ont une différence qui joue en faveur de l'EUCD. Le DMCA pourrait rendre illégale la divulguation d'informations relatives aux mesures techniques mais l'EUCD ne va pas si loin et permet explicitement, par exemple, la diffusion d'alertes de sécurité avertissant d'une faille dans un système par laquelle un virus pourrait s'immiscer [5] . Or, lors de la transposition de l'EUCD en droit interne, il n'est pas interdit au législateur national de modifier le droit d'auteur pour le rendre plus contraignant. On trouve ainsi dans le projet de loi du Ministère de la Culture français du 12 novembre 2003 [1] visant à transposer l'EUCD en droit français, à l'article 13, des termes qui interdisent explicitement la divulgation d'informations relatives aux mesures techniques. Lorsque la transposition proposée est plus sévère que la directive, il revient aux citoyens de rappeler le législateur national à de meilleures dispositions [16]

[Un contexte économique et social radicalement différent rend l'EUCD obsolète]

On peut accorder des circonstances atténuantes aux rédacteurs de 1996; l'internet naissant à peine il était possible de céder à la tentation de rédiger l'article 11 du traité OMPI [9] . Mais le législateur d'aujourd'hui vit dans un monde radicalement différent et ne peut l'ignorer. Quand le respectable institut Forrester publie en août 2002 une étude titrée "Downloads Save The Music Business" [10] , il est indispensable de remettre en question la pertinence de dispositions législatives dont les fondements économiques sont d'une autre époque.

[L'EUCD n'est qu'une étape d'une démarche dont l'orientation doit être corrigée]

L'EUCD fait partie d'une démarche d'ensemble et sera suivie par une directive concernant la lutte contre la contrefaçon, la gestion de droits numériques. Les Etats-Unis ont pris un peu d'avance sur ces sujets et nous permettent donc d'en observer les effets [12] . Aujourd'hui les modifications du droit d'auteur qui sont proposées dans les pays d'Europe servent les puissants [13] au détriment du grand public et des auteurs [14] . Il est nécessaire d'agir dès maintenant pour enrayer cette logique et ne pas léser les générations futures.

Références:

II - Quels sont les effets négatifs de l'EUCD ?

1. Menace la copie privée

La copie privée est une pratique licite dans la plupart des pays d'Europe. L'EUCD interdit la distribution de logiciels de contournement de mesures techniques et n'oblige pas les auteurs de mesures techniques à en permettre le contournement à des fins de copie privée. Par conséquent l'EUCD a pour effet de rendre très onéreux ou pratiquement impossible la copie privée d'une oeuvre protégée par une mesure technique.

La copie privée étant de facto interdite par la protection des mesures techniques, la rémunération pour copie privée, lorsqu'elle existe en droit national, n'a plus lieu d'être.

En France, l'exception de copie privée a été insérée dans la loi en 1957. La rémunération pour copie privée a été insérée en 1985. L'exception de copie privée ne concerne pas les logiciels.

Retour au sommaire


Références :

2. Porte atteinte au droit de lire, au droit d'usage

Une personne loue un film sur DVD. Elle utilise une copie du logiciel DeCSS (qui permet de décrypter le film stocké sur le DVD) et le regarde sur son ordinateur. Or l'EUCD interdit la distribution du logiciel DeCSS, par conséquent cette personne est en situation de contrefaçon. Donc seuls les logiciels autorisés par l'auteur de la mesure technique (CSS dans ce cas) permettent de lire les contenus protégés. Si l'utilisateur ne dispose pas de ces logiciels autorisés, pour une raison ou pour une autre, il lui est de fait interdit de lire l'oeuvre pour laquelle il s'est déjà acquitté des droits. Il en va de même, par exemple, pour les eBook.

Retour au sommaire


Références :

3. Nie le principe des bibliothèques, de l'accès à la culture pour tous et du domaine public

Les bibliothèques et les archives font un pont entre les générations. Les oeuvres numériques sont éternelles car la sauvegarde d'une oeuvre numérique d'un support à un autre est quasi instantanée et ne pose pas les problèmes pratiques liés aux oeuvres stockées sur support papier. Les mesures techniques qui protègent des oeuvres numériques sont donc une menace d'envergure, même sans l'EUCD. Elles sont conçues pour empêcher des personnes d'accéder à l'oeuvre, pour limiter cet accès à certaines personnes dans certaines circonstances. C'est un principe totalement opposé à celui des bibliothèques.

Au Moyen-Age, l'accès à la littérature imposait l'apprentissage d'un code particulier, le latin. La protection légale des mesures techniques ajoute un code de même nature dont la clé est l'argent. Cette condition réduit donc l'accès à la culture pour tous.

Dans le cas d'oeuvres tombées dans le domaine public et archivées, l'EUCD interdit de fait aux bibliothèques de contourner les mesures techniques qui les protègent. En effet, bien qu'elles en aient la permission en théorie, comme la distribution de logiciels de contournement est prohibée, les bibliothèques se trouvent dans l'impossibilité pratique de jouir de cette permission. Par ailleurs, alors que le droit d'auteur est limité dans le temps, les mesures techniques n'ont pas, au titre de l'EUCD, obligation de se dévérouiller dans le même délai. Voici un exemple parmi d'autres: une bibliothèque fait l'acquisition d'un livre sous forme numérique et assorti d'une mesure technique. Vingt ans plus tard, le livre tombe dans le domaine public et le logiciel permettant d'y accéder n'existe plus, la société qui l'éditait ayant déposé le bilan depuis dix ans. La bibliothèque se trouve dans l'impossibilité pratique de copier le livre sous une forme non protégée par la mesure technique afin de le mettre à disposition du public. Dans le meilleur des cas, la bibliothèque devra chercher et faire l'acquisition d'un autre exemplaire, non protégé par une mesure technique, doublant ainsi ses frais. Dans le cas d'un livre seulement distribué sous forme numérique et protégé par une mesure technique devenue obsolète, la bibliothèque perd la possibilité d'accéder à ce livre.

Retour au sommaire


Références :

4. Viole la vie privée

L'EUCD entend accorder une protection légale à toutes les mesures techniques "efficaces". Si l'efficacité d'une mesure technique repose sur la collecte de données personnelles, une personne divulgant des informations fausses pourrait être accusée de contourner une mesure technique. Or, l'efficacité d'une mesure technique sur les réseaux dépend de la collecte de données personnelles. Il en découle que, sur les réseaux, les mesures techniques sont soit inefficaces, soit contreviennent aux dispositions réglementaires concernant la protection de la vie privée.

Retour au sommaire


Références :

-
5. Force les ventes liées

Avec l'EUCD, en plus de l'obtention de droits sur une oeuvre numérique protégée par une mesure technique, la personne qui souhaite en jouir doit faire l'acquisition d'un logiciel autorisé par l'auteur de la mesure technique qui protège l'oeuvre. Par exemple, une personne loue un film sur DVD. Pour regarder ce film, l'EUCD l'oblige à utiliser les logiciels qui ont été autorisés par l'auteur de la mesure technique qui protège le film (CSS) à l'exclusion de ceux qui seraient basés, par exemple, sur DeCSS qui est un logiciel qui contourne la mesure technique.

Retour au sommaire


Références :

6. Met en danger l'économie

Une économie compétitive dépend de la possibilité pour le consommateur ou pour l'entreprise de remplacer un produit par un autre. Pour des biens de consommation simples tels qu'un bol ou une chaise, c'est à l'évidence possible. Pour des biens numériques pour lesquels il existe une mesure technique, cela peut s'avérer impossible. L'article 6 de l'EUCD empêche de pratiquer le reverse engineering (extraction de savoir faire par l'observation d'un objet fabriqué par l'homme) qui est nécessaire pour créer et diffuser des produits concurrents, car le reverse engineering implique un contournement de mesure technique. Par conséquent, les auteurs de mesures techniques peuvent se servir de l'EUCD pour empêcher la création de produits compatibles ou susceptibles de se substituer aux leurs.

Retour au sommaire


Références :

7. Permet des monopoles sur les formats de fichier

Il suffit à l'auteur d'un format de fichier d'inclure dans celui-ci une mesure technique pour détenir un monopole de fait sur l'exploitation de ce format. Le logiciel DeCSS permet de decrypter les films stockés sur les DVD. S'il est interdit de le distribuer, alors l'auteur du cryptage CSS dispose d'un monopole sur les logiciels permettant de décrypter CSS. Autoriser la distribution de DeCSS revient à autoriser la distribution d'un logiciel permettant le contournement d'une mesure technique.

Retour au sommaire


Références :

8. Encourage les abus de position dominante

L'ajout d'une mesure technique dans un logiciel étant suffisant pour obtenir un monopole de fait, la concurrence ne régule pas les prix en fonction de l'offre et de la demande. Le fournisseur du logiciel aura donc naturellement tendance à le proposer à un prix supérieur à sa valeur théorique en situation de concurrence.

Retour au sommaire


Références :

9. Encourage les ententes illicites

Les titulaires de droits et les auteurs de mesures techniques sont contraints de passer entre eux des accords. Si l'ensemble de ces acteurs ont un monopole, il peut s'agir d'entente illicite. Un acteur indépendant qui voudrait s'affranchir de ces accords tout en continuant à utiliser la même mesure technique serait en situation de contrefaçon.

Retour au sommaire


Références :

10. Empêche une saine concurrence

L'ajout d'une mesure technique sur une oeuvre est utilisé pour empêcher l'apparition de concurrents. Un concurrent potentiel ne peut distribuer ou concevoir un produit de substitution compatible car pour ce faire il doit nécessairement contourner la mesure technique.

Retour au sommaire


Références :

11. Menace l'interopérabilité

Prenons un serveur de jeux vidéo sur internet. Les utilisateurs se connectent au serveur avec un logiciel client afin de jouer ensemble. Le serveur vérifie le numéro de série du logiciel client lorsqu'il se connecte: c'est une mesure technique de l'ensemble logiciel et données graphiques du client. La société Blizzard exploite le serveur et publie le client. Un serveur concurrent est créé, compatible (interopérable) avec le client publié par Blizzard. Ce serveur, exploité et publié par bnetd.org ne contient pas la mesure technique. Il permet donc un contournement de la mesure technique constituée par le couple client/serveur de Blizzard. Par exemple, un contrefacteur ayant fait une copie illicite du client fourni par Blizzard peut interagir avec le serveur bnetd.org car celui-ci ne sait pas vérifier le numéro de série du client. C'est sur cette base que Blizzard poursuit actuellement bnetd.org.

Retour au sommaire


Références :

12. Supprime le bénéfice des usages non autorisés

Les majors de l'industrie de la musique disent que leurs difficultés économiques sont dues aux téléchargements (via le peer to peer notamment) et ont fortement influencé la rédaction du traité OMPI et de l'EUCD. Cependant les faits leurs donnent tort et leurs difficultés sont dues à une conjoncture difficile. Aux États-Unis les ventes ont déclinées de 15% sur les deux dernières années dont 2,5% seulement sont imputables à des réduction d'habitudes d'achat de personnes utilisant des services d'échange de musique non soumis à des mesures techniques. Les majors ne proposant aucun service concurrent qui réponde aux attentes exprimées par ces consommateurs, la réduction de 2,5% pourrait donc être une simple sanction de ce manque.

Dans tous les domaines de la création, les usages non autorisés mais licites que sont le fair use ou la copie privée sont générateurs de richesse économique. En exposant plus fréquemment les personnes aux oeuvres elles en font un consommateur potentiel.

Retour au sommaire


Références :

13. Porte atteinte au droit de divulgation des logiciels

Un auteur a le droit de divulguer son oeuvre. Dans le cas du logiciel, ce droit moral inaliénable ne souffre pas d'exception. Or, l'EUCD rend illicite la divulgation de certains logiciels et crée ainsi un domaine nouveau, celui des logiciels hors la loi. Il est difficile, voire impossible, de déterminer quels logiciels en font partie en raison de l'imprécision des termes "mesure technique", "efficace" et "contournement". Ce flou légal joue en faveur des puissants et au détriment du grand public, des auteurs et des petites entreprises. Un motif aussi ténu que l'absence de mesure technique permettant d'engager des poursuites (cas Blizzard vs bnetd), les plus riches peuvent intimider les moins riches par une menace de procès.

Retour au sommaire


Références :

14. Contrarie l'harmonisation légale
-

Un objectif majeur des directives européennes est d'harmoniser les législations de tous les pays. Or, trois points laissent présager que les transpositions en droit national dans les pays de la communauté européenne seront hétérogènes:

  • Les nombreuses exceptions optionnelles (20);
  • La grande complexité de l'article 6.4;
  • L'imprécision ou le caractère tautologique des définitions de certains termes fondamentaux: "mesure technique", "efficace" et "contournement".

Retour au sommaire


Références :
  • La complexité de l'article 6 de l'EUCD.
    FR: Janvier 2002. Propriétés intellectuelles. p52-57. Gilles Vercken, Recherche clarté désespérément: à propos de l'article 6.4 de la directive du 22 mai 2001. Je souhaite citer les opinions d'éminents juristes et professeurs de droit à propos de l'article 6.4 de la directive. "C'est l'une des questions des plus épineuses", "le résultat n'a pas le mérite de la clarté" - et, à propos du paragraphe 2 sur la copie privée, "c'est l'ensemble du paragraphe qui échappe à la compréhension" nous dit Séverine Dussolier, chercheuse au CRID; "un texte dont l'application s'avérera très délicate", d'après le Professeur Christophe Caron. "Un texte très, voire trop complexe", affirment le Professeur Alain Strowel et Séverine Dusollier. "Le texte laisse perplexe" écrit le Professeur Pierre Sirinelli et il ajoute : "Les Etats seront sans doute embarassés au moment de transposer le texte communautaire".
  • L'EUCD n'atteint pas l'objectif d'harmonisation.
    EU: 2002. L'articulation des exceptions au droit d'auteur et des mesures techniques face à l'harmonisation (page 19 et 63). http://www.droit-ntic.com/pdf/dir_da.pdf
  • L'EUCD n'atteint pas l'objectif d'harmonisation.
    EU: Octobre 2000. Why the Copyright Directive is Unimportant, and Possibly Invalid (paragraphe What makes the Directive a total failure, in terms of harmonisation, ... ). http://www.ivir.nl/publications/hugenholtz/opinion-EIPR.html