L'EUCD : un cheval de Troie (Tribune parue dans le numéro de septembre/octobre 2004 de l'Elenbi Strategic Review)
Au cours de l'année 2004, le processus de transposition de la directive européenne EUCD (European Union Copyright Directive) s'est poursuivi à travers toute l'Europe. Découlant d'un traité OMPI signé en 1996, tout comme son équivalent américain, le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), l'EUCD rend illégal le contournement de mesures techniques permettant de contrôler l'utilisation d'une oeuvre ou d'un objet protégé par le droit d'auteur, ainsi que toute communication d'information permettant ce contournement. Cela revient à interdire la divulgation d'informations permettant d'accéder au contenu d'un DVD Disney sans passer par des logiciels choisis par Disney. Cela revient à autoriser un éditeur de livres à imposer une marque de lunettes pour lire les livres qu'il édite.
En France, le projet de loi transposant la directive EUCD doit être examiné à la rentrée 2004. Depuis décembre 2002, l'initiative EUCD.INFO, crée par la Fondation pour le Logiciel Libre, essaie d'informer public, entreprises et pouvoirs publics sur les conséquences, notamment économiques, qui pourraient découler de la transposition.
En organisant la création de monopoles illégitimes sur les technologies permettant l'accès à la culture et à l'information, la directive EUCD pénalise les concurrents des sociétés à forte intégration comme Microsoft, Apple ou Sony. Elle encourage la vente liée, les ententes illicites et les abus de position dominante. Ne prenant pas en compte les droits des auteurs et des utilisateurs de logiciels libres, la directive exclue de plus les logiciels libres des segments de marché les plus porteurs (lecteur multimédia, serveurs de streaming vidéo, systèmes embarqués dans les baladeurs numériques, les assistants personnels et les téléphones portables, etc ...).
L'EUCD oblige en effet de facto tout nouvel entrant sur le marché à demander l'autorisation à tous ses concurrents pour permettre au consommateur de basculer vers ses propres produits ou services, et interdit la publication d'un code source ouvert si il permet de lire un DVD ou un CD protégé par un dispositif de contrôle de copie.
Le récent recours de la société Virgin Mega devant le Conseil de la Concurrence pour obtenir d'Apple les informations nécessaires pour rendre son service compatible avec l'Ipod, et les menaces explicites faites par cette société à des étudiants de l'École Centrale de Paris - qui travaille sur une solution « Logiciel Libre » de vidéo à la demande (Video Lan) - illustrent bien les effets de la directive. Concrètement, c'est le droit du consommateur à choisir librement ses produits qui est remis en cause. C'est la libre concurrence sur le marché de l'édition logicielle qui est directement menacée.
Aux Etats-unis, au nom du DMCA, des chercheurs en cryptographie ont ainsi été menacés de procès par le syndicat des producteurs de films si ils divulguaient leurs travaux. Un développeur qui avaient développé un logiciel permettant de convertir un livre éléctronique Ebook vers un format ouvert a même été jeté en prison pendant plusieurs mois.
En France, l'initiative EUCD.INFO a été contacté par le créateur d'une entreprise labellisée entreprise innovante par l'ANVAR, et qui fournit des technologies utilisées indirectement par l'industrie culturelle pour numériser ses catalogues. Cet entrepreneur du sud de la France s'est dit consterné face à la réservation annoncée par de grands groupes américains et japonais de segments de marché prometteurs sur lesquels il souhaitait investir. En plus de créer une insécurité juridique dans le monde la recherche, la transposition de l'EUCD en droit français créera donc un obstacle de plus pour les petites entreprises innovantes.
Quant aux mesures techniques s'appuyant sur des puces cryptogtaphiques comme celle proposée par le consortium américain TCG, seul procédé qui pourrait à la limite prétendre être un peu efficace pour contrôler à distance l'utilisation d'un fichier stocké sur un périphérique personnel, elles ont été jugées dangereuses pour la vie privée et la sécurité économique nationale dans un rapport de la Commission des Finances, de l'Economie générale et du Plan. Le rapport souligne ainsi que des fonctionnalités présentées comme permettant de lutter contre la contrefaçon pourraient également "permettre à des personnes malintentionnées ou des services de renseignement étrangers, de disposer d'un moyen de contrôler à distance l'activation de tout ou partie des systèmes à l'insu de leurs utilisateurs".
Si le législateur français n'y prend pas garde, l'EUCD pourrait donc se transformer en cheval de Troie qui dessert la libre concurrence en Europe en figeant des position obtenues de façon déloyale, par exemple via des ententes ou des mécanimes de vente liée. De plus, l'enjeu est actuellement bien de savoir qui va contrôler les ordinateurs de millions d'européens et donc l'information dans les prochaines années.
De l'autre côté de l'Atlantique, où les effets néfastes du DMCA ne sont plus à démontrées, certains sénateurs américains font maintenant marche arrière alors que d'autres se battent depuis longtemps, comme le républicain Rick Boucher déclarant : "Pour le bien de la société toute entière, il faut revoir la législation avant que l'accès à l'information soit complètement contrôlé de manière irréversible".