Madame, Monsieur le député,

Veuillez trouver ci-dessous, l'analyse du responsable Stratégie «Technologies de Sécurité» de la société Sun Microsystems, valant pour les amendements 247 et 267, mais aussi 150 et 151, au projet de loi 1206 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI). Ces amendements ne sont que des reprises de l'amendement dit "Vivendi Universal" qui a déclenché la mobilisation citoyenne exceptionnelle de décembre 2005 autour du projet de loi DADVSI.

Avec Microsoft, Sun Microsystems est l'un des plus importants éditeurs de logiciels au monde. Les logiciels libres que cette société distribue sont utilisés pour des applications critiques dans plusieurs entreprises du CAC 40 et de nombreuses administrations françaises et étrangères, notamment militaires.

Il est clairement démontré dans cette analyse que ces amendements portent atteinte à la sécurité de développement du logiciel libre.

En tant qu'auteur/utilisateur de logiciel libre, je vous demande donc de vous opposer avec force à ces amendements en séance le 7, 8, 9 mars lors de l'examen du projet de loi DADVSI, ainsi qu'à tout autre amendement visant à imposer l'intégration de DRM dans les logiciels communicants. Le logiciel libre est un enjeu économique et stratégique majeur pour notre pays comme des députés de tous horizons l'ont très bien expliqué le 20, 21, et 22 décembre dernier lors du premier examen du projet de loi.

En espérant que vous saurez vous saisir de ce dossier, veuillez agréer, Madame, Monsieur le député, l'expression de mes salutations citoyennes.


PRÉNOM NOM, VILLE (DÉPARTEMENT), PROFESSION


Analyse de Gilles Gravier, responsable Stratégie «Technologies de Sécurité» de la société Sun Microsystems

«DADVSI 2.0 : toujours autant de risques pour les auteurs de logiciels libres»

<http://blogs.sun.com/roller/page/gravax?entry=dadvsi_v2_0_toujours_autant>

- AMENDEMENT N° 247 Rect.

Dans cet amendement, on lit : « Art. L. 336. - Pour l'application des articles 1382 et suivants du code civil, engage sa responsabilité toute personne éditant un logiciel, ou mettant sciemment ce logiciel à la disposition du public, sans faire toutes les diligences utiles, compte tenu de la destination principale de ce logiciel, pour en éviter l'usage pour la mise à la disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés par un droit voisin, lorsque ce logiciel est manifestement utilisé de manière massive pour un tel usage. »

Ici, le risque est pour les auteurs de logiciels de P2P destinés à un usage légitime, mais dont un grand nombre d'utilisateurs se servent (au titre d'autres parties de la loi DADVSI) pour des transferts illégitimes. Par exemple, les outils (clients et serveurs) BitTorrent qui sont utilisés très légitimement par des sociétés comme Sun Microsystems (Solaris, Open Office, Star Office), Mandriva (Mandriva Linux), Vivendi Universal (mises-a-jour du jeu World of Warcraft), et d'autres pour mettre à disposition de leurs clients leurs applications commerciales, sont aussi utilisés par certains internautes pour partager en P2P des fichiers artistiques, dont certains sont mis à disposition sans autorisation.

L'article 336, présenté dans cet amendement, aurait pour effet de rendre les auteurs de ce genre de produit tout a fait légitime et critique au fonctionnement de sociétés tout aussi légitimes, passible de poursuites dans le cadre de la loi DADVSI comme auteurs de contrefaçons. C'est inacceptable.

(...)

- AMENDEMENT N° 267

Présenté par Mr Mariani, l'amendement propose : « Art. L. 336-1. - Lorsqu'un logiciel est manifestement utilisé pour le partage illicite d'œuvres ou d'objets protégés par les livres Ier et II, le président du tribunal de grande instance, statuant en référé à la demande de tout titulaire des droits sur ces œuvres ou objets, peut ordonner, sous astreinte, toute mesure nécessaire à la protection desdits droits.

Il peut notamment enjoindre à l'éditeur du logiciel de prendre toutes mesures pour en empêcher ou limiter l'usage illicite autant qu'il est possible. Ces mesures ne peuvent toutefois avoir pour effet de dénaturer la destination initiale du logiciel. »

C'est le retour de l'ancien amendement 150/151 de l'ancien projet, mais légèrement reformulé. Ici, il y a plusieurs problèmes:

1) "L'éditeur"... dans le cas de logiciels libres, il s'agit souvent d'un groupe multinational d'individus qui contribuent chacun à différentes parties du logiciel, de façon non nécessairement coordonnées. Il n'y a pas d'interlocuteur unique identifié. Il est parfois, donc, simplement impossible de s'adresser à l'éditeur, ou de tenter de le contraindre a quoi que ce soit.

2) Toujours dans le cas de logiciels libres, une fois le code source disponible quelque part, il n'est plus possible de revenir en arrière car toute personne en ayant sa propre copie pourra à loisir reconstituer la version d'origine du logiciel. Essayer d'imposer qu'un logiciel libre contienne des mécanismes de limitations (quels qu'ils soient) n'est donc pas possible car, justement, l'utilisateur ayant accès aux sources, peut toujours retirer tout élément du logiciel qui ne lui conviendrait pas.

Dans le cas d'un éditeur de logiciels tel que la société Sun Microsystems, le problème va encore un peu plus loin. Une bonne partie de l'offre logicielle de Sun Microsystems (à terme, la totalité) est en open source. Nos logiciels intègrent des fonctionnalités telles des serveurs web, courriel, ftp... qui peuvent tous être utilisés très légitimement, mais aussi servir à construire des sites hébergeant et permettant le partage d'oeuvres protégées. Comme notre système d'exploitation Solaris est livré en open source, même s'il était demandé à Sun d'intégrer dans nos produits des mécanismes empêchant de servir, par exemple, des fichiers MP3, ce serait extrêmement trivial pour un utilisateur de récupérer les sources de Solaris, et de se construire une nouvelle version de Solaris n'intégrant plus des mécanismes.

En fait, pour que l'amendement 267 soit techniquement réaliste, il conviendrait d'interdire à l'ensemble de la planète de créer des logiciels open source permettant le partage de fichiers. Ceci n'est pas réaliste car ces logiciels existent déjà (serveur web Apache, serveur de courriel Sendmail, clients bit-torrent Azureus, et de nombreux autres). Ce serait dangereux pour la France de tenter de se mettre dans une telle position de censeur des auteurs de logiciels et protocoles qui sont aujourd'hui utilisés de façon extrêmement critique par des sociétés tout à fait légitimes.

Par exemple, Vivendi Universal, qui est pourtant à l'origine de l'amendement 150 (et donc par dérivation du 267) ne réalise sans doute pas que leur plus grand succès commercial en matière de jeux : World of Warcraft utilise le protocole BitTorrent pour distribuer les mises à jour critiques pour leur jeu. Or ce protocole est un protocole P2P régulièrement utilisé par les internautes s'échangeant des oeuvres protégées. Est-ce que Vivendi souhaiterait mettre en péril un jeu qui lui rapporte 12 € par mois de la part de chacun de ses plus de 5 millions d'abonnés? Peu probable. Plus probable... ils ne réalisent pas le risque.

Autre exemple, les éditeurs du serveur web Apache. Ce serveur web fait fonctionner une extrêmement grande partie des serveurs web de l'internet. Or certains l'utilisent pour construire des sites d'échanges d'oeuvres protégées. Serait-on tenter de demander à la fondation Apache d'apporter des modifications à son serveur pour qu'il refuse de servir des fichiers MP3 ou BitTorrent? Ce serait impossible puisque Apache est un produit open source dont l'utilisateur peut à loisir retirer des fonctionnalités indésirables. De plus, ça ne fermerait pas pour autant les sites déjà en place.

(...)