Présentation d'EUCD.INFO, de la Fondation pour le Logiciel Libre, et des positions défendues dans le cadre du DADVSI

Je vais rapidement rappeler ce qu'est EUCD Info. Il s'agit d'une initiative citoyenne, lancée par la branche française de la Fondation pour le Logiciel Libre. Celle-ci est tombée sur un avant-projet de loi qui avait filtré du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique à la fin de l'année 2002. A sa lecture, elle s'est rendu compte qu'au-delà des problèmes majeurs rencontrés par les auteurs et les utilisateurs de logiciel libre, un questionnement était lancé sur l'avenir du droit d'auteur à l'ère du numérique. Comme nous sommes essentiellement des techniciens, nous nous sommes dit que nous pourrions donner notre point de vue sur cet aspect précis et sur ce qui était proposé au travers du projet de loi.

La Fondation pour le Logiciel Libre existe depuis 1984. Elle a pour objectif de promouvoir le logiciel libre à travers le monde. Elle produit donc du logiciel libre et représente les auteurs qui lui ont donné mandat pour le faire. A ce titre, je suis heureux que la différence entre le droit d'auteur et les droits voisins soit rappelée. Les auteurs de logiciel, qui ne sont pas salariés, disposent d'un droit d'auteur au sens le plus littéral du terme. Nous défendons donc également la vision de ces auteurs qui ont décidé de partager leurs oeuvres.

En effet, un logiciel libre est un logiciel que vous pouvez redistribuer, copier, utiliser et modifier car l'auteur vous en a concédé les droits au travers d'une licence éditée par la fondation pour le logiciel libre. Cette licence permet de créer, de manière parfaitement légale, un fonds commun partagé auquel chacun pourra ajouter et duquel nul ne pourra retrancher. Un bien commun de l'humanité est ainsi créé. Ceci s'illustre, par exemple, par le projet GNU, lancé par le président de la Fondation pour le Logiciel Libre et aujourd'hui classé Trésor du Monde par l'Unesco. C'est effectivement un moyen de diffuser le savoir informatique, qui n'est, en fait, qu'une mise en oeuvre de mathématiques.

L'idéal philosophique promu par la fondation pour le logiciel libre utilise le droit d'auteur d'une certaine façon, qui n'est pas celle utilisée habituellement en matière de logiciel. En effet, l'utilisation est libre et, au-delà, la copie, la reproduction et la modification. La Fondation pour le Logiciel Libre produit également du code, au travers du projet GNU, et cherche à sécuriser juridiquement les auteurs et les utilisateurs de logiciel libre, par exemple par la licence GNU GPL. Celle-ci protège, d'ailleurs, le noyau Linux qui est très connu et utilisé par des dizaines de millions de personnes, d'organisations et d'Etats à travers le monde. Elle permet une sécurisation par rapport aux avancées législatives qui pourraient impacter ce modèle de développement.

Pourquoi avons-nous créé EUCD Info ? Nous pensons que les droits d'auteur reposent sur un équilibre entre les droits moraux et patrimoniaux des auteurs et le droit du public. En droit français, des exceptions sont inscrites, dans le droit de la propriété intellectuelle, à l'article L. 122-5. Nous estimons que ces exceptions, telles qu'elles sont actuellement rédigées, participent à la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux des internautes. Nous évoquions précédemment le pastiche ou la parodie. La liberté de pensée et d'opinion permet de réutiliser des parties d'oeuvres pour les caricaturer. Nous pouvons également penser à la courte citation ou à l'analyse critique. Enfin, il y a l'exception de copie privée. Nous en débattons beaucoup et, dans ce cadre, il faut distinguer la lutte contre la contrefaçon, qui constitue la mise à disposition publique d'oeuvres sans autorisation, et la copie privée, qui représente une exception échappant au monopole. A partir du moment où nous nous situons dans la sphère privée, le monopole exclusif et opposable à tous d'autoriser ou d'interdire n'existe pas. L'utilisateur doit donc pourvoir copier une oeuvre qu'il a obtenue. Mais, nous évoquerons certainement la copie privée ultérieurement.

Par ailleurs, pour contrôler une oeuvre dans la sphère privée, il faut mettre en oeuvre des moyens techniques qui peuvent être particulièrement intrusifs. Par exemple, aux Etats-Unis, les mesures techniques de protection des droits d'auteur sont elles-mêmes protégées juridiquement car elles sont insuffisamment efficaces. Le dispositif ne fonctionne donc pas. Pour lutter contre la contrefaçon par la technique ou contre la technique par la technique, il faut mettre en oeuvre des mécanismes qui portent atteinte à la sécurité des individus, des organisations et à la souveraineté de l'Etat. Je pourrais détailler ceux-ci d'un point de vue technique. Mais, il me semble préférable de citer le rapport que le député Pierre Laborde vient de faire paraître sur la sécurité des systèmes d'information en France. Dans celui-ci, le député évoque les nouvelles mesures techniques qui, en l'état actuel, pourraient être efficaces. Il indique : « En restreignant les droits des utilisateurs, NGSCB (next generation secure computing base) donne un droit de regard aux constructeurs de matériels et de logiciels de l'usage fait des oeuvres des ordinateurs personnels.

Cette émergence d'une informatique dite de confiance conduirait un nombre très limité de sociétés à imposer leur modèle de sécurité à la planète en autorisant ou non, par la délivrance de certificats numériques, les applications à s'exécuter sur des PC donnés. Il en résulterait une mise en cause de l'autonomie des individus et des organisations, une restriction des droits de l'utilisateur sur sa propre machine. Cela constitue une menace évidente à la souveraineté de l'Etat. » Pour pouvoir contrôler la copie à destination du public et créer des modèles économiques de contrôle de l'usage privé, il faudra déployer massivement ce type de dispositifs dans les périphériques et les assistants personnels. Dans ce cadre, il faut donc s'interroger : est-il légitime de vouloir contrôler l'usage privé de l'utilisateur ?


À propos du CSPLA et de l'amendement VU

Il a été prétendu que le projet de loi ne grevait aucun modèle et n'était une insulte à aucun acteur. Je vais peut-être être dissonant concernant le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Quand nous avons créé l'initiative EUCD Info, la Fondation pour le Logiciel Libre a immédiatement demandé un siège pour participer aux travaux du CSPLA. L'avant-projet de loi posait effectivement de nombreux problèmes. Nous avons expliqué que nous étions à l'origine du projet GNU, que nous représentions des auteurs, que des millions de personnes avaient adhéré à nos licences et que nous portions un modèle alternatif. Pendant trois ans, nous avons multiplié les lettres sans obtenir de siège. Nous avons été auditionnés sur la protection des données personnelles et sur la libre concurrence. Dans les deux cas, nos analyses n'ont pas été intégrées aux rapports concernés.

Puis, il y a quelques mois, nous avons vu apparaître l'amendement dit Vivendi Universal qui vise à imposer des dispositifs techniques dans les logiciels communicants. La rédaction de celui-ci était extrêmement floue et visait, à l'origine, 70 % des algorithmes [NB : l'orateur parlait des serveurs webs et non des algorithmes] dans le monde. Nous avons suivi les discussions concernant cet amendement car il y avait des fuites au niveau du CSPLA et avons demandé à intervenir. Pour le faire, et donc pour défendre les droits des auteurs de logiciel libre au CSPLA, j'ai dû demander un mandat à une autre association. L'amendement proposé allait tout simplement interdire le modèle du logiciel libre. M. Huck a très clairement indiqué qu'il souhaitait assurer une protection sûre d'un bout à l'autre de la chaîne. Or, le logiciel libre est livré avec son code source, soit le mode de fonctionnement du logiciel.

Tous les dispositifs de contrôle d'usage privé nécessitent effectivement une protection de bout en bout, soit de l'allumage de l'ordinateur jusqu'à l'enceinte. Ceci permet toute possibilité de récupération du flux entre la lecture sur le disque dur et la transmission des informations dans les différents tuyaux de l'ordinateur. Dès que cela est possible, le contenu est intercepté. C'est parfaitement antinomique avec le modèle de développement du logiciel libre. D'ailleurs, la protection juridique initialement proposée reposait sur une protection par le secret. On disposait donc, d'un côté, d'un code source ouvert et, de l'autre, d'une fermeture par le secret. Comment les auteurs de logiciels libres pouvaient-ils ainsi proposer des lecteurs de DVD, des lecteurs musicaux ou des livres électroniques ? Ils étaient tout simplement exclus de ces marchés et nous nous en sommes rendu compte dans le cadre d'une négociation d'amendement qui s'est tenue pendant l'examen du projet de loi.

Je rappelle que le député Bernard Carayon, qui est rapporteur auprès du Secrétariat général de la défense nationale, mais qui travaille également pour la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, a bien pointé l'intérêt du logiciel libre d'un point de vue stratégique pour l'économie française. Aujourd'hui, les flux financiers engendrés par les logiciels sont pratiquement tous gérés par des sociétés américaines. Le logiciel libre permet donc de garder une certaine indépendance puisqu'il correspond à des PME et PMI qui travaillent et créent des emplois en France. On était donc en train de légiférer dans ces domaines et les entreprises du logiciel libre n'ont été convoquées que le jour de l'examen du projet à Matignon. Nous avons donc été oubliés alors que le projet de loi grevait des modèles économiques et empêchait des auteurs de divulguer leurs oeuvres. Ce texte comportait bien un problème et celui-ci existe d'ailleurs toujours.